Le Commerce Bilatéral Sino-Africain : à la Croisée des Chemins

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Écrit par : Linh Tran Huy

Édité par : Thibaut Minot

Lors du 6ème Forum sur la Coopération Sino-Africaine (FOCAC) à Johannesburg en 2015, le président chinois Xi Jinping avait annoncé 10 projets majeurs de coopération sino-africaine portant sur les domaines de l’industrialisation, de la modernisation agricole, des infrastructures, des problématiques environnementales et des services financiers parmi d’autres. Avec un financement s’élevant à 60 milliards de dollars, nombre de ces projets sont maintenant en cours de réalisation.

D’une certaine manière, ce forum semblait bien illustrer les relations sino-africaines depuis le début du siècle ; l’un est crucial au développement de l’autre en construisant et modernisant des infrastructures locales et des structures de financement. En retour, le continent africain représente une réserve considérable de ressources naturelles et pourvoit aux besoins d’une Chine qui en a terriblement besoin.

Cependant, de nouvelles tendances apparaissent et influencent le statu quo. Un regard actuel sur les relations économiques sino-africaines laisserait penser que les investissements et flux commerciaux ne sont pas aussi inéquitables qu’il ne le semblerait à première vue.

Un aperçu des investissements chinois en Afrique

En raison de sa richesse en ressources naturelles, l’Afrique sub-saharienne est en grande partie la région de prédilection pour les échanges chinois avec le continent. En 2013, la Chine est devenue la première destination pour les exportations en provenance d’Afrique sub-saharienne (plus de 20 milliards de dollars) et la plus importante source d’importation (plus de 40 milliards de dollars) d’après la base de données de la World Integrated Trade Solutions (WITS). En termes d’investissements indirects, la présence chinoise est indéniable : entre 1998 et 2012, environ 2000 sociétés chinoises ont investi dans 49 pays africains différents, menant ainsi à un total de 32 350 milliards de dollars d’investissements directs étrangers (IDE) en 2014. Bien que ce montant ne représente qu’une fraction des investissements étrangers en Afrique par rapport à ceux de la France, du Royaume-Uni et des Etats-Unis, la croissance des IDE chinois sur le continent n’en reste pas moins remarquable et les chiffres sont impressionnants, surtout si comparés aux investissements chinois dans d’autres pays.

D’après Yuusuf Moossajee, associé à Moollan & Moollan, cabinet partenaire de Dezan Shira & Associates en Île Maurice, « La Chine est devenue le chef de file des investisseurs dans les pays africains. Les premières destinations pour les IDE (chinois) en Afrique sont l’Egypte, le Nigéria, le Mozambique, l’Afrique du Sud, le Maroc, la Côte d’Ivoire, l’Angola, le Kenya, le Sénégal et le Cameroun. En Tanzanie, par exemple, la Chine est devenue le deuxième investisseur le plus important. Les multinationales chinoises ont investi aux alentours de 2,5 milliards de dollars dans environ 500 projets, 70% desquels font partie du secteur manufacturier. Il existe actuellement 20 000 hommes ou femmes d’affaires en Chine qui agissent dans différents secteurs et en milieux urbains et ruraux à travers le pays. » Yuusuf Moossajee ajoute que « l’île Maurice, ayant signé des IPPA (Accords sur la Promotion et la Protection des Investissements) avec 15 états-membres africains, est parvenue à se positionner comme étant la plateforme idéale pour investir en Afrique. Les entreprises multinationales chinoises semblent s’intéresser de plus en plus à la possibilité d’établir leur siège et d’effectuer leurs activités de gestion trésorière dans le Centre Financier International de l’île Maurice. »

La Chine ne contribue non pas seulement aux infrastructures locales avec la construction de bâtiments et de zones industrielles, mais également à l’intégration physique des états africains à travers des projets régionaux aboutissant à des routes, voies ferrées, voies maritimes, infrastructures énergétiques et autres. L’on pourrait citer des exemples tels que le Projet de Barrage Hydroélectrique de Merowe au Soudan, achevé en 2009, l’Autoroute Est-Ouest d’Algérie reliant les pays d’Afrique du nord, achevé en 2014, et le Projet de la Voie Ferrée Ethiopie-Djibouti, terminé en septembre 2016. Tous ces projets ont été menés à bien par des entreprises publiques chinoises (SOE) telles que la China International Water and Electric Corporation et la China Civil Construction Corporation, tout en étant au moins partiellement financés par les banques chinoises. Le mémorandum de compréhension Union Africaine-Chine de 2015, qui mentionnait la coopération dans des projets massifs d’infrastructure et d’industrialisation, n’était qu’une étape de plus pour atteindre l’objectif fixé dans l’Agenda de 2063 de l’Union Africaine d’avoir des infrastructures de renom à travers tout le continent.

Contrairement aux grandes entreprises publiques chinoises, les petites et moyennes entreprises (PME) se focalisent sur le secteur des services plutôt que sur des projets liés aux infrastructures ou aux ressources naturelles. Dans une analyse datant de 2015 de la banque de données du Ministère du Commerce Chinois (MOFCOM), Wenjie Chen, un économiste du Fond International Monétaire (FMI), n’a pas manqué de noter que sur 3 989 projets disséminés à travers plusieurs industries, 60% se déroulaient dans le secteur des services et que le secteur qui recevait le plus d’affaires était celui des services commerciaux (1 053 projets). Cela est en effet le cas pour la plupart des pays africains, sans tenir compte de leur abondance en ressources naturelles. Par exemple, deux-tiers des projets chinois au Nigéria et en Afrique du Sud sont dans le secteur des services. Les investissements dans le secteur manufacturier, en revanche, sont nettement moins développés. De manière générale, bien qu’il semble que les investissements chinois se tournent plutôt vers des projets liés à l’extraction de ressources naturelles si l’on se fie aux données statistiques et aux gains financiers potentiels, les autres secteurs ne sont pas pour autant mis de côté et pourraient croître au fil du temps et à une vitesse encore plus conséquente que les projets d’entreprises publiques.

De nouvelles tendances

Les évolutions démographiques risquent de changer la donne. Alors que la Chine dénote une main d’œuvre décroissante de par une population vieillissante, l’Afrique affiche un taux de fertilité important avec une population totale composée à 50% de personnes âgées de moins de vingt ans. Des statistiques en provenance de l’ONU prédisent une baisse de la population active en Chine allant de 927 millions en 2015 à 838 millions en 2035 (et 667 millions en 2055), tandis que la population active en Afrique pourrait augmenter de 536 millions à 922 millions lors de cette même période (1,4 milliards en 2055). La Chine ressentira moins la nécessité de créer des emplois, alors que l’Afrique se devra de créer 20 à 30 millions d’emplois tous les ans dans les années à venir. Une population moins imposante dans le futur équivaudra à une demande amoindrie pour des ressources naturelles. Le besoin urgent d’énergie et de ressources naturelles dans les années 2000 expliquait le caractère presque aventureux de la Chine lors de ses investissements sur le continent africain. Dans le futur, une demande à la baisse se traduirait certainement en une approche moins risquée et plus réfléchie.

Un deuxième changement notable serait la progression des salaires en Chine, particulièrement prononcé depuis 2012. A l’inverse, les salaires dans des pays tels que l’Ethiopie et la Tanzanie sont restés à des niveaux relativement bas. L’appréciation du salaire moyen en Chine combiné au facteur démographique mentionné plus haut laisse penser que le secteur manufacturier chinois sera progressivement relocalisé en Afrique. Le cas de l’Ethiopie, qui a récemment attiré 15 projets d’investissements chinois dans les domaines du textile et de l’électronique en modernisant ses zones industrielles et en créant des zones franches, est en effet révélateur.

En Chine : les investissements africains

Les flux commerciaux sino-africains ne sont plus aussi inégaux qu’autrefois. D’après le China-Africa Economic & Trade Cooperation White Paper, les IDE africains en Chine ont abouti à un total de 14 milliards de dollars en fin 2012, dont 1,4 milliards de dollars générés la même année. Des pays tels que l’île Maurice, les Seychelles, l’Afrique du Sud et le Nigéria investissent dans les industries pétrochimiques, le secteur manufacturier et la vente en gros et au détail en Chine. D’après Yuusuf Moossajee, il existe déjà de nombreux modèles de réussite. L’on pourrait citer l’exemple de la Snow Beer, la bière la plus vendue au monde et produite par une joint-venture sino-africaine entre SABMiller et China Resources Enterprise. En 2016, SABMiller possédait plus de 90 brasseries, produisait 30 marques de bières différentes et s’était accaparé 23% du marché. Enfin, les initiatives de développement mises en place par la Chine devraient promouvoir l’industrialisation et le capital humain sur le continent africain. Cela devrait en retour contribuer au développement de biens et de services à plus forte valeur ajoutée à exporter ou à investir dans d’autres marchés, dont celui de l’Empire du Milieu. Un exemple serait celui du Plan d’Action du FOCAC de 2015, par lequel le gouvernement chinois viserait à augmenter les opportunités d’éducation et de formation avec 2000 programmes universitaires et 30 000 bourses destinés aux étudiants africains désireux d’étudier en Chine.

Ces dernières années, de grandes entreprises africaines en provenance de divers secteurs ont tenté d’étendre leur influence en Chine, comme l’indiquerait par exemple la présence nombreuse d’investisseurs sud-africains. Aspen Pharmacare Holdings, un fabricant de produits pharmaceutiques sud-africain, a augmenté ses exports de deux-tiers en 2016 et a profité de ses récentes acquisitions de gammes de produits pharmaceutiques pour fortifier sa présence en Chine avec plus de 600 représentants commerciaux. Son équipe de vente chinoise est maintenant la plus importante dans le monde. Sasol, géant sud-africain de l’énergie et des produits chimiques, tente de solidifier sa position dans un marché chinois en pleine croissance grâce à une nouvelle usine d’alkoxylation à Nankin, dont la construction a débuté le 8 juillet. Cette usine permettrait à l’entreprise de répondre aux besoins de différents segments de la clientèle, qu’il s’agisse de produits de soins personnels, de détergents, de textiles ou d’autres catégories. Un dernier exemple serait celui de Naspers. Initialement, ce petit éditeur de journaux n’était pas parvenu à s’étendre en Chine dans les années 90 à travers une filiale, mais a tenu bon avant d’investir 32 millions de dollars en 2001 dans Tencent, une startup technologique à l’époque déficitaire. Le succès de cette dernière a catapulté Naspers au rang de titan des investisseurs multimédias et de septième entreprise internet la plus importante dans le monde. Sa part de 34% dans la société chinoise est aujourd’hui estimée à 100 milliards de dollars.

Enfin, l’activité commerciale africaine en Chine se développe également au niveau local. A Guangdong, le cœur manufacturier du pays, des pôles tels que les districts de Yuexiu ou de Baiyun regorgent de petits commerces africains. Le négoce, ou l’achat de produits bon marché aux marchés de gros, boutiques et usines disséminés dans le pays pour les revendre en Afrique est une activité pratiquée par beaucoup. Les produits recherchés en Chine par les négociants africains sont principalement textiles, cosmétiques et électroniques. Un grand nombre de commerçants sont également présents pour agir en tant qu’intermédiaires entre les investisseurs en Afrique et les usines chinoises.

Conclusion

Il y a de cela quelques années, il aurait été possible de caractériser les relations commerciales sino-africaines comme étant un échange entre infrastructures et ressources naturelles. Aujourd’hui, cette tendance serait à revoir. Les évolutions démographiques devraient réduire la demande de la Chine pour davantage de ressources naturelles. En parallèle, les salaires croissants en Chine devraient non seulement encourager la relocalisation des moyens de production en Afrique, mais également rendre la main d’œuvre africaine préférable dans des projets d’infrastructure et de modernisation. En Chine, le commerce africain se développe à une plus petite échelle. Bien que l’on constate le succès de plusieurs entreprises et surtout de joint-ventures, la première difficulté reste celle de s’adapter à un environnement entrepreneurial différent. Les nouveaux venus qui perçoivent la Chine comme une terre d’opportunités doivent en premier lieu apprendre à avancer dans un environnement règlementaire fort complexe et se préparer à lutter contre une concurrence locale féroce.

 

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